Vivre l’Évangile. Chemins croisés de laïcs dominicains
Dirigé par Gilles Berrut, Catherine Masson, Jean-René Berthélémy
Cerf, Paris, 2024
Voilà un livre qui illustre bien le nom donné à ce site : Itinéraires de vérité !
Ce livre, écrit par des laïcs dominicains, présente vingt-cinq figures du laïcat de l’Ordre des Prêcheurs, hommes et femmes ayant choisi de vivre l’Évangile à l’école de Saint Dominique entre 1207 et 2014. Certains noms seront bien connus de beaucoup, d’autres moins, mais la lecture de l’ensemble de ces témoignages de vie évangélique met en évidence comment, de siècle en siècle, ces laïcs qui ont engagé leur vie pour « évangéliser la Parole de Dieu » ont ouvert, en conversation amicale avec leurs contemporains, des chemins vers la vérité qu’est le Christ.
Ces chemins sont, avant tout, des itinéraires de vie, au fil desquels chaque personnalité se révèle – discrète ou rayonnante, austère ou plus affective, extravertie ou non. En lisant ces pages, comment ne pas contempler la grâce du mystère de l’Incarnation qui est à l’œuvre en chacune de ces « vies selon l’Évangile » ? Chacune est bien entendu singulière et on ne saurait ici en rendre compte. Mais c’est précisément ce qui fait le plaisir du lecteur : au fil des pages, il prend conscience vive de la fécondité et de la créativité d’une vie pour l’Évangile. Au point que la lecture éveille en lui la question qui, je crois, vint à l’esprit du jeune homme riche de l’Évangile : que n’y ai-je pensé plus tôt ! Lire de telles biographies est invitation à oser à son tour lire sa propre vie, l’inventer, laisser l’Esprit la rendre créative, et laisser s’éveiller en soi le désir de « boire à son propre puits », de reconnaître l’appel de l’Évangile au cœur de sa propre vie. Reconnaître sa vie comme creuset de la grâce !
On découvre aussi que parler de la grâce d’itinéraires de vie si riches ne signifie pas que vivre l’Évangile assure un périple sur un long fleuve tranquille. Des débats politiques contradictoires aux élans mystiques, de l’obéissance à l’Église à la résistance déterminée, de la discrétion au courage de l’engagement périlleux, des frasques de jeunesse à la vie dévote, ce que ces témoins donnent à voir est qu’annoncer l’Évangile en tâchant de le vivre fait de la vie une aventure de conversion humble et joyeuse. Humilité de qui se laisse soi-même pour trouver, enfin, l’ami qui se tient au plus intime de sa vie. Joie de n’être pas seul, jusque dans les plus terribles affrontements à la violence pour certain(e)s, à la dérision ou à l’échec apparent pour d’autres. Chacun témoigne, en tout cas, que le plus sûr chemin pour vivre l’Évangile est de le vivre avec ses contemporains, au cœur de ce qui anime le monde et le temps dans lequel on vit. A l’instar de Lacordaire, chacun pourrait dire qu’il a reçu de Dieu la grâce d’entendre ce siècle qu’il a tant aimé ! Le désir d’Évangile s’aiguise à la mesure de l’audace et la confiance avec laquelle chacun s’engage dans le monde, en même temps qu’il se découvre solidaire des angoisses et des enthousiasmes de ce monde.
Itinéraires de vie, itinéraires de vérité ! Car c’est bien cela qui anime la vie de ces laïcs de l’Ordre des Prêcheurs. Beaucoup, on le lira, s’engagent dans des œuvres qui contribuent à la justice et à la paix dans la société humaine : éducation, soin, réhabilitation sont des domaines dans lesquels, donnant priorité aux plus oubliés et aux plus pauvres, il s’agit d’entraîner la société à oser devenir toujours meilleure. L’inspiration de Dominique est bien là, fondamentale, qui disait « avoir tout appris au Livre de la charité ». Encore une fois, l’important n’est pas d’abord l’œuvre, mais bien Celui qui se révèle au cœur de la fraternité des destinées qui en résulte, et est le lieu où se révèle l’amour du Christ qui vient relever le monde. Au fond, pour ces frères et sœurs de Dominique, vivre l’Évangile du Christ c’est d’abord faire alliance avec le monde auquel on désire faire entendre la promesse que s’approche le Royaume. On ne sera alors pas étonné de découvrir dans nombre de ces « itinéraires » la place que tient la prière de Marie, la Mère de Dieu. Laïcs dominicains, contemplatifs du mystère du salut au cœur du monde. Prêcheurs !