Le samedi matin à Auteuil, des personnes ayant soif de s'initier à la lecture de la Bible se réunissaient autour d'Emmanuel Levinas. Salomon Malka, dans ses jeunes années, en a tenu un journal personnel. Tel est l'argument de ce livre nostalgique.
Salomon Malka est un écrivain et journaliste qui a été directeur de L'Arche et animateur du FSJU. Il est l'auteur d'Emmanuel Levinas : la vie et la trace (2022), Lire Levinas (1984), parmi d'autres ouvrages.
Nous sommes à la fin des années 60, le grand philosophe et aussi enseignant de la Bible offre le samedi matin à Auteuil, à ceux qui sont curieux et intéressés, une sorte de salon où se pressent tous ceux qui sont admirateurs de sa pensée philosophique, mais surtout ceux qui vont découvrir, redécouvrir la pensée juive à partir du texte biblique, avec l'appui de ses grands commentateurs tels que Rachi de Troyes.
On y côtoie de jeunes juifs en quête de retrouver les racines de leur peuple, à l'image de Salomon Malka, mais aussi des personnes aussi différentes qu'Antoine Noura, résistant juif, survivant du Vercors, aux fonctionnaires Albert Simon, qui était le "Monsieur Météo" de l'époque sur les ondes, et même à Dominique, qui a perçu que sa philosophie était indissociable de son approche de la Bible.
L'auteur décrit cette approche comme : « Il enseignait et transmettait un judaïsme moderne, ouvert au monde, à la littérature, aux débats de l'heure, et en même temps ancré dans la tradition » (p. 182). Il y avait aussi dans cette transmission orale une sorte de conversation, un charme qui a fortement impressionné les auditeurs et dont la transcription semble pâle.
En feuilletant son journal, l'auteur nous partage certaines phrases : « La question n'est pas ce qu'on dit de la Bible, mais ce que la Bible dit de nous », ou bien « La Bible est un livre de chair et de sang » (p. 93) ; ou encore : « Selon un traité talmudique, quelqu'un qui réclame le pardon à son prochain ne doit pas le solliciter plus de trois fois. À partir de la troisième tentative, il est quitte de sa faute » (p. 97). Ainsi, ne pas répondre à celui qui demande pardon aboutit à l'exonérer. Renversement qui en dit long sur le pardon, exigence réciproque de la prière d'une autre part.
Ces nombreux passages sont autant de repères, voire de lumières, que l'auteur sème et qui nous permettent de ressentir ce que les samedis à Auteuil avaient de vivifiant.
Salomon Malka, dans ses « chroniques obliques », fin de parcours, s'interroge sur la disparition de cette école française d'une lecture de rigueur, de mesure, d'ouverture et d'intelligence du texte. Il n'y a pas eu de prolongement. Il se désole que les lieux du judaïsme religieux d'aujourd'hui préfèrent le Talmud à la Bible.
On ne peut s'empêcher, en tant que lecteur catholique, de ressentir un même décalage entre le travail théologique, dialoguant avec les sciences humaines, de la période post-conciliaire qui est sans suite, et remplacé au profit d'une piété et d'une foi psychologisante et émotionnelle.