L’islam et l’examen scientifique. Une quête renouvelée.

Mohammad Ali Amir-Moezzi
Editions du Cerf
Gilles Berrut
Relecture :
Inter-religieux et culturels
Temps de lecture :
1
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L’islam et l’examen scientifique. Une quête renouvelée.

Coll. La bibliothèque de l’Institut français d’islamologie.

Les Éditions du Cerf, Paris, 2024, 137 p.

Ce livre est le premier d’une nouvelle collection : la « Bibliothèque de l’Institut français d’islamologie dirigée par Mohammad Ali Amir-Moezzi. Dans un remarquable avant-propos, Pierre Caye (directeur au CNRS de l’Institut français d’islamologie (IFI)), rappelle que le président Emmanuel Macron a appelé au développement d’études de haut niveau sur l’Islam (2  octobre  2020 : elysee.fr) et a soutenu la création de l’IFI. Elle a pour mission de favoriser le développement de « l’islamologie fondamentale », au sens de connaissances des sources historiques et scripturaires de l’islam.

Dans cet avant-propos, l’auteur rappelle que le mot religion a pour sources étymologiques, non seulement le « religare » qui est-ce qui nous lie et relie à Dieu, mais aussi le « relegere » qui est la relecture et la récitation. Au XXe siècle, après la Première Guerre Mondiale, la distinction entre religion et théologie est apparue comme une manière d’appréhender les contradictions temporelles d’un savoir et le patrimoine religieux d’un patrimoine religieux. C’est ainsi que naît la théologie-politique, où est interrogé à nouveau frais l’affirmation paulinienne que « Toute puissance vient de Dieu » (Rm 13,1), en particulier dans l’émergence d’États totalitaires, avec la Critique de la violence de Walter benjamins et le concept de théologie politique par Carl Schmidt.  À la suite de la Seconde Guerre Mondiale, Joseph Schumpeter affirmera le mécanisme de destruction créatrice, intrinsèque au capitalisme, et posera le concept d’une théologie économique. Puis, dans une relecture du nomos grec la place de  la loi antique laissera place une réflexion sur la dispensation de la puissance (Heidegger, Deleuze, Hayek). Ce qui imposera de revoir la place triptyque culture-religion-savoir, comme la source d’une connaissance en dialogue avec la société, ses besoins et ses attentes. Non pas comme une instance en surplomb (épistrocratie), ni comme des variables d’ajustement des idéologies du moment, mais comme la possibilité de « penser avec », d’éclairer par la liberté intellectuelle et d’être dans la construction d’un vivre-ensemble c’est la tâche que se donne l’IFI et que nous donne à lire la Bibliothèque de l’Institut Français d’islamologie des éditions du Cerf.

Ce premier livre regroupe 4 conférences données le 15 juin 2023, lors d’une journée de l’IFI sur le thème des rapports de la science et de la société.

-       « D’une Arabie à l’autre » présentée par Christian Robin vient résumer 20 ans d’archéologie en Arabie Saoudite. Il rappelle que les explorations de la fin du XVIIIe siècle à 1914 ont révélé de nombreux vestiges de civilisations ignorées jusque-là, sans apporter de connaissance sur la période du siècle de Muhammad (560-660). Dans les années 70 reprennent les explorations archéologiques avec une mission d’inventaire et de protection. Puis de 2000 à 2020 des campagnes systématiques de fouilles avec des collaborations étrangères et enfin à partir de 2020 l’ambition d’un développement touristique.  Les fouilles ont permis de comprendre le milieu dans lequel l’islam est apparu. Le vide d’un monde païen qui est la version officielle a laissé place à un royaume Hymiar qui passait de rois chrétiens à des rois juifs, jusqu’à la conquête par Muhammad.

-       « Le Coran et son histoire » de François Déroche. Jusque dans les années 70, l’étude du texte du Coran ne semblait pas prometteuse. Mais des travaux étymologiques et textuels notamment britanniques ont construit les instruments d’études du Coran, bénéficiant progressivement des techniques et technologies d’analyse des manuscrits. Le meilleur exemple est le palimpseste de Saana découvert en 1972 qui n’a pas encore été complètement exploité. L’archéologie et l’épigraphie viennent compléter la connaissance du texte.

-       « L’homme de l’instant. Les études sur le soufisme. Entre histoire et méta histoire » de Samuela Pagani. L’école italienne « d’Études et institutions musulmanes » trouve son origine vers 1950 dans une vision d’une histoire totale de l’islam intégrant les héritages non arabes, de l’Iran à la Malaisie. La lecture du patrimoine textuel soufi favorise une remise en question des lectures littéralistes. Ce débat entre lecture du coran et laïcité à partir du soufisme avait été largement entamé, dans la culture française, par Louis Massignon, fondateur de l’islamologie française de et de la chaire de sociologie et sociographie musulmanes au Collège de France en 1926, qui voyait dans la figure du martyr mystique Al-Hallaj, une figure de contradiction avec un simple positivisme. Sa relecture de son oeuvre à partir de la fin eschatologique réorganisait l’approche historique, et considérait le poète – martyr, figure de la passion, comme l’homme de l’instant « dans la courbure spirituelle du temps », selon son expression. Comme le dit Paul Ricoeur, le vivre-ensemble a peut-être plus besoin d’interrogation partagée que de certitudes.

-       « L’islamologie pour la culture contemporaine » de Dominique Avon conclut ce cycle de conférences. L’islamologie se définirait comme l’étude prioritaire de sources qui émanent de musulmans et musulmanes depuis la fin du XVIII siècle. Deux courants émergents de cette définition : l’un est proche de l’orientalisme avec une prise de conscience de sa naissance dans le contexte du colonialisme ; l’autre est une étude de l’histoire en se dégageant de toutes les racines méthodologiques occidentales. L’auteur décrit ensuite les différents enjeux de l’islamologie historique et contemporaine.

Ce livre initie une collection qui s’annonce d’ores et déjà remarquable par la qualité des travaux présentés. L’actualité de cette approche est essentielle à tous ceux qui désirent s’ouvrir à la possibilité d’entrer en dialogue pour un vivre-ensemble.

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