Sur les chemins empruntés par Charles de Foucault en 1883, un jeune géographe marche à travers le Maroc d’aujourd’hui, disponible aux rencontres et aux paysages, dans un itinéraire qui se révèle initiatique.
Jean de Marignan en est le marcheur et l’auteur. Il a enseigné l’histoire et la géographie au Liban et travaille aujourd’hui auprès de personnes en situation de handicap mental à Toulouse. Il est membre de la Société de géographie.
Imaginons Charles de Foucault habillé curieusement en rabbin du Liban, marchant au Maroc, à la fin du XIX e siècle, en compagnie d’un rabbin voyageur, Mardochée Aby Serour. Observé avec méfiance par nombre de villageois marocains, rejetés par les communautés juives qui se rendent compte de la supercherie après avoir accueilli ce curieux rabbin, leur survie est parfois le fruit de la chance et du hasard.
Le jeune voyageur d’aujourd’hui reconnaît souvent les lieux décrits dans le rapport géographique de Charles de Foucault, militaire démissionnaire avant sa conversion. Voyage de l’entre-deux qui le poursuivra toute sa vie comme s’il avait perçu intuitivement dans ce chemin marocain hostile et pourtant habité d’une humanité de l’accueil, la présence particulière du Dieu prié par l’islam, plusieurs fois par jusque dans les habitations les plus reculées du désert. Dans des lieux lointains du Haut Atlas, le souvenir de Charles de Foucault est même resté dans les traditions orales ou même des lieux, comme si sa présence restait en mémoire humaine au-delà ou peut-être à cause de l’étrangeté de ce visiteur.
Progressivement dans sa narration précise et capable de ressentir l’invisible, cet itinéraire se fait initiation et maïeutique de soi. Ainsi, l’auteur rappelle le conseil de l’abbé Huvelin à Charles de Foucault : « supportez-vous ! » (P 113) ; et lui-même se voit conseillé par les moines de l’Atlas « posez-vous la question : de quel amour suis-je aimé de toi, Seigneur ? ». Arrivé au seuil du désert à Tissint, il remarque que Charles de Foucault devient un écrivain abondant avec une profusion soudaine de descriptions (p171), ce qui semble montrer la forte séduction que ces terres inhabitées ont imprimé sur le futur ermite. Parfois l’auteur se laisse à des confidences esquissées, mais très signifiantes, montrant l’entrecroisement des itinéraires. Dans un cours épilogue d’écriture remarquable par sa synthèse (P 299-300), on peut cueillir cette affirmation : « il n’y a pas de grands hommes, il n’y a que ceux qui grandissent ». Sans doute faut-il marcher de nombreux kilomètres en terre étrangère pour quitter les rêves de grandeur et rester avec l’humilité du grimpeur.
Ce livre se lit facilement car l’écriture est fluide et directe, met à nu la recherche d’une vérité sans concession sur Charles de Foucault. Il aborde ses motivations, son itinéraire sans faux semblant, posant les questions dérangeantes, n’hésitant pas à montrer ses duretés de cœur de jeunes officier non converti. Un livre qui emmène le lecteur, sans doute aussi, vers es terres arides.