Soigner par la mort. Est-il encore un soin ?

Emmanuel Hirsch
Edition du Cerf
Gilles Berrut
8 mai 2024
Relecture :
Santé
Sociétal
Sciences de la vie
Temps de lecture :
1
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Soigner par la mort. Est-il encore un soin ?

Emmanuel Hirsch,

 

 

Le livre intitulé « soigner par la mort, est-il encore un soin? », est publié dans ce temps particulier qui sépare le débat citoyen, les avis d’expertises, moutures successives jusqu’à la proposition de loi, d’une part ; et d’autre part, le débat de l’Assemblée nationale et son travail de discussion parlementaire de la loi.

 

Emmanuel Hirsch est bien connu comme le fondateur de l’espace éthique de l’APHP de Paris et de celui d’Île-de-France. Il est professeur Émérite d’éthique médicale à l’université de Paris-Saclay et membre des académies nationales de médecine et de chirurgie.

L’auteur du livre ouvre une réflexion large sur la méthode de mener une discussion d’un sujet éthique qui pourrait modifier la loi. Il revient sur les différents travaux qui ont précédé, depuis plusieurs années, la proposition de loi sur la fin de vie : discours du Président de la République, avis du Conseil Consultatif National d’Éthique, lettres de sociétés savantes et représentant des organisations de soignants. A  la lumière du « parcours erratique du projet présidentiel », l’auteur discerne, une «Éthique du trébuchet ». Le trébuchet étant un « piège à planchette basculante pour prendre les oiseaux » (Dictionnaire Larousse de la langue française). Ainsi, la question éthique, est en premier débattue de manières différentes et par des intervenants variés pendant une durée longue ; puis, tout à coup, l’opinion bascule, et ce qui était jusqu’à alors regardé comme curieux, original et péjoratif, devient l’évidence vers laquelle on doit aller quel que soit le chemin utilisé. C’est ce qui se passe, invite à penser EmmanuelleHirsch, pour la loi sur l’euthanasie et le suicide assisté.

La question devient alors le sens de cette préparation de la loi : une appropriation collective d’une des nouvelles lois ou un piège dans lequel on tombe après un temps de discussion, peut-être orchestré.

L’auteur nous invite à poser la question du changement progressif de la nature du soin que cette loi induirait. Si la possibilité toujours présente de donner la mort s’insinue dans le soin comme une alternative, aura-t-on le courage de l’engagement parfois difficile, pour le soin qui soulage, accompagne, et essaie« d’ajouter de la vie aux jours difficiles ».

Albert Camus disait que pour être un homme bien, il faut être un homme empêché. Et si l’impossibilité de donner la mort est justement l’empêchement qui nous oblige à innover pour la vie, à s’engager au-delà pour soulager l’autre et l’accompagner avec dignité. La réponse à cette question viendrait de toute façon si a lieu le vote d’une telle loi. La culture de l’euthanasie se sera installée dans notre culture commune, et aura sans doute dépassé le cadre actuel, ce qui est l’évolution habituelle de telles lois comme l’a rappelé dans un article du Journal Le Monde de 2022, l’ancien contrôleur de l’euthanasie des Pays-Bas, Monsieur Théo Boer - dans ce pays, l’extension de l’accès à l'euthanasie s’est faite progressivement aux maladies chroniques et aux personnes en situation de handicap. Emmanuelle Hirsch rappelle que l’acceptation d’une idée sociétale nouvelle s’accompagne de son extension à des domaines plus larges, à une systématisation qui rend la décision plus facile. Ainsi la réponse à la question de l’effet de la loi viendra trop tard.

Devant la logique implacable du trébuchet, nous mettant dans une situation de non-retour, sans doute incontrôlable, Emmanuel Hirsch s’interroge : « penserait-on un instant à débattre de l’opportunité de consacrer une législation à l’aide active à vivre ?». Une autre question est tapie dans l’ombre de la mort provoquée, c’est l’appréciation de la valeur de la vie, qui viendrait progressivement.Bien sûr que des conditions seront édictées pour que l’euthanasie ne s’impose pas à quelqu’un contre son avis. Mais plusieurs associations évoquent la possibilité d’une autocensure à vivre. Des personnes présentant un handicap, des personnes vieillissantes qui ont conscience de demander des efforts importants à leurs proches : je suis en train de gâcher la vie de mes proches, de dépenser un capital qui pourrait leur être utile. Ils pourraient être alors amenés à s’interroger sur une sorte de lâcheté de vivre et du courage à mourir.Cette question primordiale déjà présente dans le discours, de nombreuses personnes aujourd’hui comme on peut le constater en consultation, risque de devenir un motif de choix pour la mort, à l’heure de l’augmentation de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap et de la transition vers le vieillissement de la population.

Pour mesurer la rupture radicale ainsi créée dans le droit par l’autorisation à donner la mort, il faut se souvenir des réponses de Robert Badinter en 2008 à l’Assemblée nationale. Il y affirmait que pour rendre possible la pratique de l’euthanasie, il faudrait prescrire une « irresponsabilité pénale » du professionnel, car « la vie d’autrui n’est à la disposition de personne ».Finalement, Emmanuel Hirsch s’interroge sur la légitimité de quiconque, fût-elle une représentation nationale, à légitimer une telle irresponsabilité.

Au cours du travail de formalisation du projet la loi sur l’euthanasie est apparue le concept de « soins d’accompagnement d’une personne malade » (projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie du 6 octobre 2023),qui définit le soin, comme étant, en même temps, soins, soins palliatifs et aide à mourir. Nous serions le seul pays à intriquer, soins et aide à mourir, comme si nous n’osions pas affirmer que la loi, crée un nouveau cadre, distinct du soin, qui serait l’assistance au suicide et l’aide médicale à mourir.Serait-ce un manque de maturité ou un maquillage ?

Après avoir dénoncé les manœuvres à charge conduites, à travers toutes les étapes du processus de réflexion et d’expertise, après avoir rappelé, et critiqué la revendication du droit qui s’opposerait à toute contrainte, Emmanuel Hirsch s’interroge sur le caractère d’urgence à légiférer, qui est porté par le calendrier présidentiel. Comme si cette loi était une priorité pour la santé. Le contexte actuel de difficultés de fonctionnement de la médecine de ville et des hôpitaux et le défi des innovations thérapeutiques et leur coût peuvent en effet relativiser l’urgence d’une loi d’aide à mourir. L’urgence semble plutôt être l’accès aux soins. Peut-être faudrait-il encore prendre son temps sur cette loi de fin de vie ?

Dans sa conclusion, on pourrait résumer le dilemme par cette interrogation : et si "la mort de la mort" tant revendiquée comme slogan par certains, était en fait la mort de la vie?

Ce livre bien documenté et construit autour d’une réflexion du temps de la maturité pour son auteur bien connu, exprime clairement les enjeux de cette loi sur le soin et sur les soignants. C’est un livre de conviction éclairée et aussi de courage dans l’ambiance du trébuchet.

L’auteur n’aborde pas d’autres aspects de cette loi, comme l’obligation qui est faite aujourd’hui de partir à l’étranger pour ceux qui souhaitent un suicide assisté, ni la discussion qu’il y a entre d’un côté la revendication d’un droit à mourir, et de l’autre l’affirmation que la vie ne nous appartient pas. Mais ce livre, sans conteste, est à compter parmi les pièces de l’instruction de la réflexion sur une loi de la fin de vie.

Pour aller plus loin

Article d'Olivia Elkaim dans le Journal la vie du 12/03/2024

https://www.lavie.fr/actualite/societe/emmanuel-hirsch-soigner-par-la-mort-nest-pas-un-soin-93500.php

https://www.lavie.fr/actualite/societe/emmanuel-hirsch-soigner-par-la-mort-nest-pas-un-soin-93500.php

 

 

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