L’HUMAIN AU CENTRE DU MONDE
Pour un humanisme des temps présents
Contre les nouveaux obscurantismes
Editions du Cerf, 2024, 392 pages,
Sous la direction de Daniel SALVATORE SCHIFFER
Considérant les dérives idéologiques, politiques, scientifiques, technologiques qui pèsent sur le monde actuel – globalisation, intelligence artificielle, transhumanisme, wokisme, cancel culture, «sensitivity readers », invasion des jugements normatifs et des règles moralisatrices, multiplication des interdits, frénésie du « buzz », fake news, société du spectacle, individualisme narcissique, puissance des réseaux sociaux, matérialisme exacerbé, surpuissance des réseaux sociaux, primauté du virtuel sur le réel, perte de la rationalité, appauvrissement du savoir et de la langue – Daniel SALVATORE SCHIFFER et ses co-auteurs appellent à replonger dans la notion d’humanisme, à la revisiter, à en retrouver les vertus civilisatrices, pour ainsi mettre l’humain au centre du monde.
Philosophe et écrivain, Daniel Salvatore Schiffer est professeur d’esthétique et de philosophie de l’art à l’Institut royal supérieur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie de Bruxelles. Il est l’auteur d’une quarantaine de livres.
Précisions d’emblée plusieurs éléments fondamentaux de ce livre :
- La grande variété des contributeurs tout d’abord : des hommes et des femmes, athées, agnostiques, catholiques, musulmans, juifs, portant des opinions politiques diverses, philosophes, chercheurs, enseignants, journalistes, toutes et tous passionnés par l’humain …
- Le fait que les catégories « optimistes ou pessimistes » ne sont ni adoptées par les auteurs, ni pertinentes pour tirer profit de cet ouvrage. De la même façon qu’il convient, d’une façon générale, de ne pas confondre espoir et espérance, il convient d’aborder ce livre comme une série de regards sur le réel, et une invitation à se mobiliser.
- Pourquoi « l’humain » et non pas « l’homme » dans le titre ? Tout simplement pour souligner comme essentiel le fait que « l’humanisation de l’homme » est un processus toujours nécessaire, jamais abouti, souvent en tension. L’homme n’est pas un « produit » achevé, fini, abouti. Dans une vision humaniste, l’homme est responsable de l’humanisation de l’humain.
- Même si on peut lire ce livre dans le « désordre », il est important de tout lire. C’est bien ce « tout » qui donne toute sa pertinence à l’ouvrage. Tous les articles sont reliés entre eux par un enjeu fondamental : l’humanisation de l’Homme.- La nature même de l’ouvrage fait qu’il n’est ni possible, ni même souhaitable, d’en présenter une synthèse : on ne résume pas plus de trente articles denses, argumentés, solides dans leurs assertions, pertinents et pointus dans leur capacité à décrire notre monde, apte à nous aider à comprendre les enjeux auxquels nous avons à faire face, sauf, bien évidemment, si nous préférons nous mettre la tête dans le sable ou regarder ailleurs.
Prenons toutefois le risque de retenir quelques traits saillants qui ressortent de l’ensemble :
- Nous disposons d’un patrimoine intellectuel, culturel, philosophique, conceptuel d’une richesse trop souvent ignorée. Quand Léonard de Vinci dessine l’Homme de Vitruve, c’est bien signifier que nous sommes appelés à rechercher la perfection, l’absolu qui donne à l’homme un satut particulier et unique dans la création. Quand Max Weber nous convie à accepter la tension entre « éthique de conviction et éthique de responsabilité », c’est bien pour inviter chacun(e) d’entre nous à s’interroger et à discerner. Quand Emmanuel Levinas nous rappelle qu’il n’y a pas de JE s’il n’y a pas de TU et de ILS et de NOUS, entendons que l’individualisme – comme prétention de chaque individu à s’auto-engendrer dans une pseudo liberté – est une impasse pour l’humain comme processus.
- La raison est probablement la seule table à laquelle peuvent s’asseoir et échanger tous les « hommes de bonne volonté ». À cette table, on doit argumenter ses points de vue et accepter de les soumettre à la critique – c’est le très exact contraire de l’obscurantisme – accepter de se critiquer soi-même, faire preuve d’une tolérance exigeante – celle qui ne recherche pas forcément le consensus, mais reconnaît la fécondité possible du « dissensus » – reconnaître la complexité comme constitutive du réel – tout le contraire du « prêt à penser » – pour accepter l’insécurité et le doute.
- Avec Dostoïevski, les auteurs partagent l’idée que la beauté sauvera le monde. Mais plus encore que la beauté, c’est le « sublime » qui est à contempler. Le sublime, c’est ce qui élève au-dessus de soi-même, ce qui entraîne et guide vers le haut, ce qui associe l’Homme à l’achèvement de la création : que ce soit dans la peinture, la sculpture, la littérature, le sublime fait grandir… À condition que sa contemplation soit transmise, que l’éducation le prenne en compte, et qu’on ne confonde pas Mozart et piano-bar, Bach et le bruit, Stéphane Zweig et l’écriture automatique…
- Il y a les risques contre lesquels on peut lutter avec succès si on le veut vraiment : la « cancel culture », la baisse du niveau de culture générale… Et il y a les risques qu’il faut comprendre son veut non pas les supprimer – c’est impossible – mais les maîtriser : l’intelligence artificielle, internet …
Un livre important donc, nécessaire, précieux pour celles et ceux qui veulent tout à la fois comprendre le monde actuel dans ce qu’il porte comme risques et trouver des moyens et des outils pour ne pas renoncer à l’habiter pleinement, à agir, à chercher.
Dans le discours qu’il a prononcé à Stockholm à l’occasion de la réception de son prix Nobel de littérature en 1957, Albert Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.»