François Lestang offre à un large public un excellent guide de lecture des deux lettres de Pierre et de la lettre de Jude. Ces lettres figurent parmi les épîtres les moins connues du Nouveau Testament. Or, d’une très grande richesse éthique et théologique, surtout la première lettre de Pierre, elles méritent absolument d’être lues. C’est en elles qu’on trouve par exemple les notions de « pierres vivantes », de « sacerdoce royal » des fidèles, de « participation à la nature divine », ou encore la présentation du Christ comme « agneau sans reproche et sans tache », des croyants comme « engendrés de nouveau » par « la semence incorruptible de la Parole de Dieu », et de la communauté chrétienne comme « peuple de Dieu ». En outre, s’adressant à des chrétiens vivant alors le doute, la persécution, ou la division entre fidèles, ces lettres résonnent avec notre actualité et peuvent apporter lumière, encouragement, conseils à notre temps.
L’auteur, F. Lestang, prêtre de l’Institut du Chemin Neuf, docteur de l’Institut Biblique Pontifical de Rome, spécialiste des Actes des Apôtres et des épîtres, enseigne actuellement comme Professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Lyon.
La question de l’identification des auteurs véritables des lettres divise la critique. En ce qui concerne la plus importante des trois, 1 Pierre, F. Lestang opte pour une rédaction par l’apôtre saint Pierre lui-même, avant 65, opinion assez minoritaire, reconnaît-il. F. Lestang, ne s’explique guère sur les raisons de son choix, contraire, par exemple, à celui de Jacques Schlosser, auteur d’un ouvrage de référence sur cette lettre. Certes, il écrit ici un ouvrage d’initiation et non de débat entre savants, mais ce silence est un peu frustrant, il faut l’avouer.
F. Lestang adopte la même chronologie courte pour la lettre de Jude, qu’avec une minorité d’exégètes là encore, il situe vers l’an 50, donc très tôt après la passion du Christ. L’auteur en est probablement non l’apôtre, mais un « frère » du Seigneur, le frère de Jacques premier « évêque » de Jérusalem. Quant à 2 Pierre, tous les exégètes sont d’accord, cette fois, pour penser que cette lettre ne peut être de saint Pierre, mais a été écrite assez tardivement, autour de 100.
Une fois traitées les questions d’attribution, de datation et de genre littéraire des lettres, et résumé leur déroulement, F. Lestang étudie leur contenu. Elles ont en commun de faire partie des sept épîtres dites « catholiques », celles qui ne s’adressent pas à une communauté particulière. Mais elles diffèrent beaucoup par leurs dimensions et surtout par leurs sujets : dans 1 Pierre, le soutien aux croyants, calomniés et rejetés, par le rappel des souffrances du Christ et l’indication du comportement à adopter dans une société hostile ; et, dans les deux autres lettres, les divisions internes de la communauté. Dans le détail, quoique tout un passage de 2 Pierre soit directement inspiré de la lettre de Jude, les thèmes, foisonnants, ne se recouvrent pas souvent d’une lettre à l’autre. F. Lestang cependant en dégage six : la bénédiction de notre Dieu et Père, les figures du Christ, l’Esprit Saint et les anges rebelles, la prédication du Christ aux esprits en prison, le retard de la Parousie, le devoir de « belle conduite » des Chrétiens parmi les « nations ». Le livre comporte ensuite un chapitre sur la réception des lettres, y compris dans la liturgie catholique. Un dernier chapitre décrit leur présence dans l’art occidental. La conclusion souligne les raisons de lire ces textes encore au XXI° siècle.
D’utiles annexes complètent le livre : un lexique (incluant un index des noms propres), une chronologie, une série de cartes et une brève bibliographie.
Dans tout son livre, F. Lestang éclaire lumineusement les textes, leur vocabulaire, leur contexte, et en dégage avec profondeur le message spirituel, éthique et théologique.
Son excellente connaissance de l’Antiquité classique lui permet des développements très instructifs sur le genre épistolaire à cette époque, ou sur la différence entre le Zeus, père des dieux et des hommes, et le Dieu- Père de Jésus-Christ selon 1 Pierre, c‘est à dire Père de miséricorde élisant son Fils pour une Mission (le Messie) plus encore que Créateur.
Plus intéressant encore : ce n’est pas un hasard si F. Lestang a longtemps dirigé le Centre chrétien pour l’étude du judaïsme… Les innombrables allusions ou références à la Bible hébraïque sont élucidées avec précision, montrant une fois de plus que le Nouveau Testament est incompréhensible sans une bonne connaissance de l‘Ancien. Mais c’est toute la tradition juive qu’exploite F.Lestang, y compris en ses textes non canoniques, comme Le Livre des Jubilés ou Le Livre d’Henoch, explicitement cité dans la Lettre de Jude, ou même perdus et connus seulement indirectement, comme L’Assomption de Moïse.
Surtout, la lecture des lettres de Pierre et de Jude commentées par F. Lestang rejoint les questions de notre temps sur la place du chrétien dans la cité et sur notre apostolat. Pierre, dans l’empire païen de son temps, appelle à la soumission au pouvoir civil sauf cas de conscience exceptionnels. L’analogie possible avec la situation des chrétiens dans notre société laïque est éclairante. Le chrétien n’a pas à dicter sa loi à la société, mais il a le devoir, comme ses ancêtres des premiers siècles, de chercher à toucher le cœur des hommes par sa « belle conduite » et son amour fraternel (la « philadelphia ») en suivant « l’appel à la sainteté », il doit être prêt à répondre « à quiconque lui demande de rendre raison de l’espérance qui est en lui». S’il doit souffrir pour sa foi, qu’il sache qu’il participe ainsi aux souffrances du Christ pour notre salut. Et, ajoute Jude, face aux impies, il doit, à l’image de Dieu, manifester une miséricorde qui n’est pas compromission.
Et, si , souvent, nous pouvons être tentés de céder au découragement, d’avoir le sentiment que rien n’a changé depuis la venue du Christ, de douter de son retour, sachons que les chrétiens de la seconde génération s’interrogeaient déjà d’une façon très semblable. La seconde lettre de Pierre répond magnifiquement : le Seigneur n’est pas en retard, c’est la « patience de Dieu » qui explique sa lenteur, il veut que tous soient sauvés, il attend la conversion de tous. Mais les chrétiens ne sont pas impuissants. Au contraire une immense responsabilité pèse sur eux : par la sainteté de leur vie ils ont le pouvoir de « hâter l’avènement du Jour de Dieu » (2Pierre, 3, 12).
Ainsi, F. Lestang nous convainc que ces lettres non seulement nous concernent toujours, mais sont bien de nature à nous apporter consolation.
Comment mieux conclure qu’avec le texte, rempli d’espérance, de la première lettre de Pierre sur le rapport du croyant à son Dieu :
« Sans l’avoir vu, vous l’aimez ; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d’une joie indicible, sûrs d’obtenir l’objet de votre foi » (1Pierre, 1, 8-9)