L’Espérance est cette vertu théologale que l’on a parfois difficulté à considérer comme centrale dans la foi. Et pourtant, malgré les pessimismes et les étonnements de nos vies, elle est la source qui permet à la foi de se traduire en charité.
Emmanuel DURAND est Dominicain, théologien et professeur à l’université de Fribourg, et l’a été à Paris, à Ottawa et à Rome. Il est l’auteur de nombreux livres. Après s’être passionné pour la physique, il s’est passionné pour la philosophie et aujourd’hui c’est dans la théologie qu’il déploie son talent de chercheur exigeant et doué.
L’écriture dense, approfondie de notre frère nous permet d’explorer dans les 6 premiers chapitres comment l’espérance s’affronte aux obscurités, aux impasses et aux ressources de notre condition de voyageurs d’ici-bas. Dans les situations fermées, où le Salut n’est plus représentable. Enfin le dernier chapitre attire notre attention sur l’espérance eschatologique et son écho sur notre temps.
Dieu, seule espérance en nos situations fermées où parfois elle s’affronte à l’impossible. L’espérance va au-delà d’un simple espoir de projections. Une espérance ouverte sur la possibilité de l’avènement du bien comme un don qui vient d’autrui ou d’en haut. Nous devons nous retenir de concevoir le Salut à la mesure de nos ressources et de nos représentations humaines. Dieu seul sauve, et il est infiniment créatif dans la manière de l’accomplir en chacune de nos histoires. Jésus a vécu notre condition comme Fils et Sauveur. Sa gloire filiale est l’assurance pour nous et toute la création que notre espérance n’est pas vaine. Comment consentir à la non maîtrise caractéristique de l’espérance ?
Nous pouvons nous sentir seul dans la désespérance, mais l’auteur attire notre attention tout au long du livre sur l’importance d’appartenir à une communauté d’espérance. Pour lui, espérer n’est jamais un acte individuel. Il nous revient par vocation d’espérer pour d’autres, voire pour tous. La foi en l’immédiateté de Dieu sont indissociable de la charité.
Jésus lui-même a été habité d’une espérance pour autrui. « La charité espère tout ».
Ainsi, Christian de Chergé chercha et exhorta ses frères moines de Tibhirine à répondre au surcroît d’incertitudes par un surcroît d’espérance dans la patience du quotidien de la vie monastique.
Et Jésus ? L’auteur voit dans la conscience aigüe de Jésus pour sa mission, le lieu d’une espérance pour chacun. Jésus voit Dieu à l’œuvre, en train de manifester son règne à chaque instant. Les paroles et les actions de Jésus manifestent l’action de Dieu. Jésus voit clair alors que nous, nous agissons bien souvent dans l’obscurité. La charité de Jésus pour tous les hommes lui permet d’espérer pour autrui. Jésus n’est pas un prophète, il est l’envoyé du Père, il inaugure et fonde pour nous ses disciples la possibilité de vivre le temps ouvert à la grâce. Après la Résurrection du Christ, c’est l’Esprit Saint qui va porter et favoriser l’émergence et la résilience de la vie avec sa propre créativité. L’Église à la suite du Christ, bien qu’elle soit défigurée par le péché et la fragilité, elle propose le salut de façon sacramentelle. La grâce est communiquée par Dieu à travers des médiations concrètes qui accomplissent ce qu’elles expriment.
Le dernier chapitre commentant le discours « apocalyptique de Jésus » dans le chapitre 13 de Marc nous présente Jésus qui rompt définitivement avec le temple de pierre et le monde religieux qui lui est associé. La Parousie annoncée par le Christ n’est pas vue comme un grand malheur mais comme le salut des élus et un grand motif d’espérance. L’imminence de cette parousie exige notre vigilance active. Le moindre petit geste concret d’amour a valeur d’éternité alors que les bouleversements cosmiques ouvriront le champ pour la venue du Fils de l’homme. Au milieu des crises de notre temps, nous pouvons choisir de rester au bord du chemin, apeurés ou sceptiques, ou poser un regard d’espérance sur ce monde qui est ébranlé, qui craque de partout et espérer avec nos mains comme nous invite le frère. Cela suppose un cœur et mobilise nos mains. L’auteur attire notre regard sur les femmes, particulièrement, comme Marie qui a su espérer en silence au plus profond de la dépossession et de l’humiliation.
Ce texte est riche, les démonstrations sont fouillées au risque parfois de perdre le lecteur. Mais l’auteur a pensé à ses lecteurs en construisant ses chapitres méticuleusement avec des introductions et récapitulatifs réguliers. « La Foi va de soi. La Charité va malheureusement de soi. Mais l’Espérance ne va pas de soi. » écrivait Péguy [1].
A la fin de cette lecture, l’espérance prend plus de couleurs, de consistance et demeure très liée aux deux autres vertus théologales.
« Une foi morte, sans espérance ni charité, ne serait d’aucun secours pour affronter ce temps. La charité, elle, espère tout. » (p 189)
Cette espérance reçue comme une grâce nous entraîne à « espérer avec nos mains. »
Nous sommes invités à retrousser nos manches.
Ce livre, au seuil du Jubilé 2025, dans le sillage de la Bulle du pape « Spes non confundit » (l’espérance ne déçoit pas), pourrait accompagner les chercheurs de Dieu durant cette année.
1 : Charles Péguy, Le porche du Mystère de la deuxième vertu, Nouvelle Revue française, 1916, p 251.
Pour aller plus loin
intervie
Esperance en théologie selon Jürgen Moltman