En toute gratuité ?

Jean-Marc Liautaud
Gilles Berrut
14 mai 2024
Relecture :
Philosophie
Spiritualité
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En toute gratuité ?

Penser la grâce sous le paradigme de l’alliance.

Jean-Marc Liautaud

Cogitatio fidei

Edition du Cerf, Paris 2023, 700 p.

 

La gratuité de notre relation est au cœur de notre compréhension de l’action de Dieu, lorsqu’il crée et sauve et nous permet d’accéder à Lui par le Salut. Être disciple du Christ et ami, et non serviteur, comme nous y invite Jésus, demande une réponse par un acte gratuit à l’Amour gratuit de Dieu. Tous nos petits calculs exprimés ou non, tous nos marchandages dans la prière, dans notre accueil de l’Esprit, dans notre relation aux autres, sont des pensées et des œuvres de déshumanisation. On conçoit aisément que la gratuité est essentielle et nous demande une conversion de tout notre être, tant elle est contraire à la logique du monde mondain dans lequel nous vivons tous. La fameuse expression que l’on entend quand quelqu’un rend service : « à charge de revanche ! », est l’exemple même de l’expression de l’impossibilité à concevoir la gratuité dans nos relations et est un obstacle à recevoir gratuitement d’être créé et sauvé.

 

L’auteur est docteur en théologie. Il amené ses études au centre Sèvres de Paris et il travaille depuis 1987 dans lemouvement international Fondacio. Il contribue à la revue Prions en Église.

 

Pour exposer la gratuité dans un monde sécularisé, où croire est devenu un particularisme, l’auteur nous conduit dans un itinéraire très complet. L'étude examine la gratuité divine et humaine, ses implications théologiques et les débats autour de ce concept. On distingue la gratuité des choses et celle des échanges, au-delà des conditionnements. Dieu voue l'homme à l'adoption filiale, accorde la grâce de la conversion et le sauve par la mort du Fils. La gratuité questionnée explore la genèse et les limites de la « nature pure », de Saint Augustin, en passant par Saint Thomas d’Aquin, à la crise baïaniste, théologie enseignée par Michel de Bay, condamnée par le pape V et reprise par les jansénistes, où la gratuité du don de Dieu impliquait une obligation de Dieu envers l’homme. Henri de Lubac va ouvrir la possibilité de penser autrement la gratuité en remettant en cause le principe de « nature pure ». Mais c’est Karl Rahner qui en fera en fera la synthèse. Rahner, en accord avec de Lubac, affirme que Dieu veut partager sa nature avec l'homme, rendant la notion de "nature pure" inadéquate. Rahner distingue entre le plan existential où l'homme est toujours interpellé par Dieu et le plan naturel, où découvrir Dieu est un miracle. Influencé par Heidegger, Rahner introduit une perspective ontologique à deux niveaux : le plan catégorial (expérience humaine linéaire) et le plan transcendantal (éternel présent intégrant le passé). Il soutient que l'homme est travaillé par un"désir" de Dieu au niveau « existential » et une potentialité transcendante et indéterminée. Le concile de Vatican II a abandonné la catégorie de "nature pure" et adopté une théologie plus inclusive, influencée par Rahner, reconnaissant la grâce universelle de Dieu au-delà des frontières de l'Église. Rahner plaide pour une articulation entre la gratuité du don de Dieu et la responsabilité humaine, évitant un traitement juridique de la relation entre l'homme et Dieu. Cette théologie souligne l'importance de la liberté divine et l'ouverture à des médiations diverses pour la relation avecDieu.

Face aux apories des discours théologiques sur la gratuité, l’auteur examine la logique de contrat et d'alliance, cherchant une grammaire de la gratuité au sein du lien. Le concept d'alliance est exploré, avec une présentation générale de la logique de contrat et ses défis théologiques. Un parcours des Écritures examine dans le PremierTestament la gratuité comme la « clé du don », notamment avec Abraham et le peuple de l'Alliance. Puis, dans les Évangiles, analysant Marc, Matthieu, Luc et Jean, il envisage l’articulation entre la gratuité chrétienne et les logiques de don.

Enfin, l’auteur analyse le paradigme de la gratuité dans l’économie de l’alliance par les réponses de plusieurs théologiens plus contemporains tel que Christoph Theobald, sur la gratuité et le désintéressement divin. Les théologies de la Croix et la question de l'obligation de croire sont examinées.

L’auteur conclut par la nécessité de conduire une théologie de la gratuité à nouveaux frais, afin d’en percevoir les perspectives futures.

 

De lecture difficile, ce livre dense nous récompense par l’ouverture qu’il nous offre à mieux comprendre la nature et les conséquences de la gratuité comme une condition de toute relation qui s’inscrit dans une dynamique chrétienne et trinitaire. Ce livre représente une étape dans l’étude de la gratuité de Dieu et nous invite à revisiter également notre manière d’être en relation.

Pour aller plus loin : Entretien avec Jean Marc Liautaud

 

 

 

 

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