Dieu n'a pas créé la nature
Jean-Christophe Attias
Éditions du cerf,2023, 301 p.
"Dieu n'a pas créé la nature" est un livre qui explore les complexités de la relation entre la religion juive et notre compréhension de l'environnement naturel. Cet ouvrage questionne l'idée traditionnellement acceptée que la nature est une création divine, proposant plutôt que notre perception de la nature comme entité sacrée est un construit culturel et historique.
Jean-Christophe Attias est un historien, directeur de l’École pratique des hautes études à la section des sciences religieuses et est spécialisé dans l'étude du judaïsme. Né en 1958, il a largement contribué à l'enseignement et à la recherche dans ce domaine, et il est reconnu pour ses travaux sur divers aspects de la culture et de la religion juives, y compris l'histoire médiévale des juifs, la mystique juive, et les interactions entre judaïsme, christianisme, et islam. Jean-Christophe Attias a écrit et édité plusieurs ouvrages influents, souvent en collaboration avec sa femme, Esther Benbassa, qui est également une historienne reconnue des études juives. Leurs travaux couvrent une vaste gamme de sujets, y compris l'identité juive, l'exil, et la diaspora. Parmi ses publications, on trouve des titres tels que "Les Juifs et la Bible" et "Dictionnaire des monothéismes", ou encore « Moïse fragile, prix Goncourt 2015 de la biographie, qui reflètent son intérêt pour l'exégèse biblique et les comparaisons entre les grandes religions monothéistes. Il est engagé dans des débats publics sur des questions de laïcité, de multiculturalisme, et de la place du religieux dans la société contemporaine, plaçant l'accent sur le dialogue interreligieux et la tolérance.
Dans ce livre, « Dieu n’a pas créé la nature, l'auteur déconstruit les narratifs bibliques, en particulier la place de l’arbre dans la genèse ou dans les récits deutéronomiques sur la guerre avec Moab (Dt 23,7), où les arbres fruitiers doivent être détruits, figures de l’homme dans son être et son potentiel de vie. Cette relation à la nature est structurée par la nécessité de séparer ou de distinguer. « On ne célèbre pas la beauté de la nature, mais la bonté de Celui qui l’a créé (p27). Le terme nature en hébreux moderne, téva, n’existe pas dans la Bible car Dieu ne créée pas la nature, mais l’univers et le monde. L’arbre est figure de l’homme et du peuple. Il entretient une relation à la stabilité, à la possession d’une terre, à la fécondité par ses fruits. Quand on fait le siège d’une ville, on ne coupe pas les arbres, car ce sont eux qui nourriront après la conquête (Dt 22). Le début du texte de la bible est le fameux Be-reshit (Gn1,1),qui est traduit par commencement. Mais en fait reshit est synonyme de Torah et ainsi le texte débute « par la Loi » ou « pour la Loi ». Les anciens rabbins, tel Rashi deTroyes, affirmaient que le début de la bible est en fait situé en Exode 12,1 au moment de la préparation de la Pâque : « Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois ». Ainsi, reshit (Torah) est au début du texte, « c’est parce qu’il a prévu qu’au bout de vingt-six générations Israël y recevrait la Torah » (p71).
La place de domination de l’humain sur la nature est associée à la déchéance qui est inscrite dans toute domination. En rappelant Genèse 1 qui est centré sur la conquête et la puissance et Genèse 2 qui met ‘accent sur la garde, la protection et la préservation. Dieu et l’homme sont partenaires, l’un arrose, l’autre cultive (Gn 2,5) (p79). On peut dire qu’une ambiguïté s’installe dans la relation de l’humain et de la nature sur fond de séparation. On retrouve cette nécessité de distinguer et discerner dans les sacrifices d’animaux, dans la consommation de la chair des animaux. De même Israël est un peuple avec une relation complexe à sa terre conquise et reconquise après l’exil, sorte de terre « contre-nature » (p 270). Chaque partie est richement nourrit de la lecture de la Bible et de la Tradition, mais aussi de la trajectoire personnelle de l’auteur, de mère catholique et de père juif, et de sa conversion au judaïsme à ses 20 ans. Cet entre-deux du goy converti alimente, en quelque sorte, une pensée de la non-évidence de la relation à la nature. Tout est langage, construction, discernement, séparation et non évidence d’une nature dont on n’aurait qu’à contempler la beauté. Dans l’épilogue, l’auteur affirme que le judaïsme s’abstient de penser « la Nature ». C’est le monde qui lui importe et l’animal humain en fait partie » (p 270).
Le livre se distingue par son approche critique qui invite à repenser notre relation avec le monde naturel au-delà des cadres religieux traditionnels. L'auteur propose une vision plus intégrée et écologiquement responsable de l'environnement, avec un humain faisant partie intégrante de la nature, rejoignant une pensée écologique du post-anthropocène et enracinée dans une compréhension scientifique et éthique plutôt que théologique.
Penser la nature comme une construction culturelle est à la fois un déplacement, et sans doute une chance pour sortir de discours de la culpabilité et de la fausse évidence ontologique. Ce livre peut être perçu comme controversé ou provocateur par certains lecteurs croyants qui peuvent se sentir mis au défi. Mais dans une écriture exigeante et académique par certains aspects, il offre une main tendue à repenser la nature dans notre histoire humaine.
Pour aller plus loin :
Une interview de l'auteur Jean Christophe Attias
Une recension d'Anna Klarsfeld sur le site Tenou'a
https://www.tenoua.org/dieu-na-pas-cree-la-nature/