Dieu est dé-coïncidence

François Jullien
Editions Labo et Fides
Jean Claude Lavigne
1er septembre 2024
Relecture :
Gilles Berrut
Philosophie
Temps de lecture :
1
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Dieu est dé-coïncidence

F. Jullien, Labor et fides, 2024

F. Jullien n’est pas un théologien, mais un philosophe et sinologue qui a entrepris dans ses nombreux ouvrages ( )  d’ouvrir un espace dans nos trop grandes assurances quant à notre culture occidentale et à notre foi ou à nos croyances. Il l’avait fait dans « l’écart et l’entre » (2012) ou encore dans « Nourrir sa vue : à l’écart du bonheur » (2005). Avec la notion d’écart, il va un peu plus loin avec la notion de « dé-coïncidence » en reprenant des thèmes qu’il avait déjà testés dans ses précédents ouvrages. L’ouvrage, bref (95 p), mais stimulant, veut défendre la pertinence et même l’urgence d’utiliser ce terme un peu barbare. Ce plaidoyer peut agacer à la longue, mais la ténacité de l’auteur se montre fertile tant dans la compréhension de la société, que de la Parole de Dieu et de l’Église.

F. Jullien lit la Parole de Dieu, mais surtout l’évangile de Jean pour libérer cette parole qui est devenue fade et convenue. La dé-coincidence qu’il propose est une tentative pour nous réveiller face à l’effacement de Dieu, effacement que Jullien identifie à l’enferment de la foi et de Dieu dans des dogmes ou des affirmations (tant apophatiques que positives) alors que leur nature est d’être tranchante de vie. Il s’agit de faire sortir Dieu, l’évangile et la foi des indifférences et des idéologies qui les font coller à des idées et les stérilisent pour réactiver la vie qui est en eux. Vrai travail de vérité qui ne peut être que mouvement, déconstruction, élan et jamais réaffirmation de l’Être ou de son inexistence. La dé-coïncidence n’est pas une inversion ou une opposition, mais un écart qui ouvre sans être récupéré, une mise en tension qui ne doit pas être refermée.

L’existence de quatre évangiles dont aucun n’a le dernier mot est un argument en faveur de la dé-coïncidence qui est ouverture des possibles, caractéristique de la vraie vie. L’enjeu de cette proposition est de permettre un surgissement du neuf, de l’inouï... F Jullien se livre à une démonstration de cette lecture à partir du texte de la Samaritaine et de celui du Pain de vie ou encore du « monde » selon Jean….mais sans nous suggérer comment le faire où cela nous entraîne, ce qui serait contraire à son affirmation qu’on ne peut figer ce qui est toujours radicale nouveauté, la caractéristique pour lui de l’Évangile et de Dieu.

La bible suggère sans cesse de découvrir la nécessité de cette dé-coïncidence  par rapport à l’ordre originel entre Dieu et l’homme. Depuis les origines Dieu dé-coïncide avec son statut de Dieu par sa naissance et sa mort en son fils, le Père dé-coïncide avec le Fils : le Christ incarne la dé-coïncidence, il dé-coïncide avec le judaïsme… une autre manière de lire la Parole de Dieu est de repérer que le Christ fait passer du vital au vivant et ne pas rabattre cela à une manière symbolique de parler.

F. Jullien propose la même grille d’analyse sur l’Église en lui reprochant d’avoir « boulonner » à coups d’exclusions et de condamnation (et de secret) le message du Christ, profondément sourcée vie et de dé-coïncidence à travers ses affirmations dogmatiques ou son catéchisme.

Ce qui est intéressant, au-delà des raccourcis que fait l’auteur, de l’absence de références à d’autres théologiens, de suggestions pour des pratiques concrètes et des effets littéraires, c’est cette conviction qu’il faut retrouver de la vitalité, du vital dans la Parole de Dieu et de se méfier des lectures qui figent et abolissent l’élan qui est à l’origine de cette Parole.  

Fr Jean Claude Lavigne op

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