Déjà brillent les lumières de la fête

Sylvain Detoc
Editions du cerf
Emmanuel Morucci
22 aout 2024
Relecture :
Gilles Berrut
Essai
Temps de lecture :
1
'

L’actualité nous le rappelle sans cesse : le monde n’est pas à la fête, l’Église et ses déboires non plus. Peu de voyants sont au vert et beaucoup de fidèles voient rouge. Pourtant le peuple de Dieu est appelé à la fête, à crier de joie pour le Seigneur (Ps94). Le chrétien serait-il triste ? Jusque dans les célébrations. Il prendrait même un air triste lorsqu’il chante le sanctus. «Si des centaines de milliers de chrétiens criaient de joie chaque matin, ça s’entendrait»(P12). Ainsi le cadre est posé par l’auteur.

Le dominicain Sylvain Detoc, docteur en littérature et en théologie, nous amène tranquillement, au fil des pages, à renouer avec cette idée de joie et de fête.

La fête est nécessaire à la bonne vie du chrétien. «Faites la fête et soyez joyeux».  Étrange incitation de la part d’un frère prêcheur. D’emblée, il rappelle que Dominique montrait sa bonne humeur. «Nul n’était plus gai », écrivait Jourdain de Saxe son successeur.

L’appel au catholique est d’être joyeux et de le montrer. «La fête, les cathos en parlent à longueur de liturgie. Ils en parlent, mais ne la font pas!». C’est bien connu dans ce domaine comme dans d’autres «c’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins» (P27). La bible invite à la fête «venez, crions de joie». Certes mais c’est souvent sous forme d’injonction. Sylvain Detoc interroge : cette vision de la fête est-elle, du point de vue théologique, inscrite dans notre habitus ?  Manifestement non. Du moins en occident. Il est vrai que foi et fête ne se voient pas bien ensemble dans le regard de l’autre. Surtout à la messe dominicale. Il est urgent de les réconcilier. La théologie devrait nous y aider.

La fête est, pour le chrétien, étroitement associée à la question du salut. Elle ne peut donc être de l’ordre seulement de la dictature du spectacle, de rires prémâchés et préenregistrés. L’auteur convoque ici la notion d’Homo Festivus de Philippe Muray. Pour ce philosophe ce genre de fête est une régression anthropologique, un tout de la vie quotidienne forgé par la société médiatique et la commande sociale.  

Detoc s’appuie sur Saint Thomas d’Aquin qui, dans la Somme, fait état de la nécessité de détente, référence à la vertu de la bonne humeur d’Aristote, l’eutrapélie. «Le repos de l’âme c’est le plaisir», écrivait l’Aquinate. Saint Dominique lui-même était réputé pour sa disposition à la bonne humeur.

L’ouvrage invite donc à rompre avec la morosité apparente et le sérieux de circonstance, voire même, l’intransigeance.  

Divertissements, jeux, plaisanteries ont leur place dans la vie du chrétien. À condition qu’il n’y ait pas d’offense à Dieu, ni par leur contenu, ni leur démesure. La fête est un fait anthropologique et l’Église l’a toujours, dans l’histoire, reconnu. Un bien nécessaire mais pas au point de lui subordonner toute la vie (p 45) ce qui reviendrait à de l’idolâtrie. Notamment si elle est autocentrée. À ce sujet, l’auteur met en garde sur certaines autocélébrations qui célèbrent des valeurs mais plus Quelqu’un.

L’idée centrale de l’ouvrage est que la foi tragique n’est pas automatique. Pour étayer, l’auteur convoque (parfois avec un bel humour) de nombreux auteurs tels Timothy Radcliff, Jacques Maritain, Blaise Pascal qui usent du droit de faire rire en traitant des sujets sérieux. Selon soeur Cécile Saint Dominique ne rechignait pas à quelques bons mots destinés à faire rire.

Se réconcilier avec la vraie fête est la thèse de ce livre spirituel et théologique, riche en anecdotes, clins d’oeil, citations et références. Encore faut-il « se libérer des contrefaçons, des singeries de la fête ». Pour Detoc, la fête atteint son expression la plus franche dans l’Évangile. Il y trouve nombre de référence à la fête. Et de rappeler des paraboles comme celle de la brebis retrouvée ou celle du fils prodigue. La fête structure l’espace et le temps des hommes. Qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête? L’auteur nous dit : «Soyons chorégraphes de la danse de la vie. Laissez-vous saisir par l’Esprit saint et entraînez dans la danse ce monde trop triste » (p155).

Pour aller plus loin

Pour lire le livre